Oui je suis féministe, oui j'ai avorté, oui je l'ai mal vécu.
— Roseaux.coCet extrait de témoignage est reposté ici avec l’accord de son autrice. Pour le lire en intégralité sur le site d’origine, rendez-vous sur le site du magazine Roseaux.co.
« Roseaux, c’est un magazine féministe que nous voulons inclusif et pédagogue. s’adresse à tout le monde, et surtout à celleux qui souhaitent apprendre, débattre, comprendre les bases des luttes pour l’égalité. c’est la célébration de la différence, du respect, de la liberté de choix, de la tolérance. »
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TW : avortement
CW : mention de sang et de dépression
Pour contrer les anti-choix qui inondent les internets avec de fausses informations sur l’IVG, notamment en achetant le nom de domaine simoneveil.com juste après sa mort, il est important de montrer que non, on ne regrette pas forcément une IVG, et que non, ce n’est pas forcément synonyme de souffrance ou de détresse profonde. Le blog « IVG, Je vais bien, merci ! » est un exemple d’action possible. On le sait, et on le répète : l’avortement n’est pas un traumatisme en soit. Il arrive néanmoins que pour certaines personnes, cela soit malheureusement le cas. Est-ce qu’il faut donc se positionner contre l’IVG ? Non. Est-ce qu’il faut silencier ces personnes dans les milieux féministes, de peur qu’elles « nuisent à la cause » ? Non plus. Témoignage.
La première émotion que j’ai ressentie quand j’ai découvert que j’étais enceinte, c’est une joie profonde. Une joie qui n’a duré que quelques secondes, voir quelques micro-secondes avant que je ne cède à la panique, mais une joie bien réelle, dont je me souviens encore plusieurs années après. J’étais contente d’être enceinte du garçon dont j’étais amoureuse, contente de pouvoir créer un petit être, contente de savoir que j’étais féconde, contente de peut-être pouvoir élever un enfant.
Les premiers jours après le test de grossesse, je n’ai ni fumé ni bu. J’avais 17 ans, j’allais entrer à la fac. Je vivais encore chez ma mère et mon amoureux ne se réjouissait pas vraiment de devenir papa. Je savais que ce ne serait pas du tout un problème pour ma mère si j’avortais, mais, qu’au contraire, cela pouvait le devenir si je ramenais un bébé à la maison. Elle n’aurais pas été du genre « T’inquiète, je m’occupe de ton enfant pendant que tu es à la fac / au travail » – ce que je comprends.
J’ai donc finis pas prendre la décision d’interrompre cette grossesse. Une décision qui pour moi n’était en fait pas véritablement un choix. Il paraît qu’on a toujours le choix, ce n’est pas ce que je crois. Les circonstances extérieures m’ont poussée à choisir l’IVG, mais ce n’était pas ce que je souhaitais pour moi. Finalement j’ai tenu bon, je n’ai pas pleuré, et quasiment jusqu’au jour J j’ai géré toutes les démarches seule alors que j’étais mineure. Je voulais en finir au plus vite, tirer un trait sur cette aventure aussi courte qu’intense.
J’ai avorté de façon médicamenteuse à l’hôpital – j’avais trop peur de rester à la maison. Cela consiste à tuer l’embryon en prenant une pilule, puis à en prendre une deuxième pour déclencher un pseudo-accouchement – qui ressemble en fait à des règles abondantes et/ou douloureuses. Et ensuite, on attend la journée que l’embryon se détache et finisse aux toilettes ou bien au fond de la culotte. Je n’avais pas peur de tout cela, j’étais confiante et entourée de personnes que j’aimais. Une infirmière m’avait dit qu’il était possible de voir l’embryon après l’expulsion, une petite boule, un amas de cellules pas plus gros qu’un haricot – ma grossesse était très récente.
Quand il est tombé, au milieu de tout ce sang, je l’ai vu. Ça ne ressemblait à rien, un petit truc de rien du tout, un petit nuage clair au milieu du rouge. J’étais contente de l’avoir vu. Je lui ai dit au revoir et ai attendu la fin de la journée.
Tout s’est bien passé, je n’ai pas eu plus mal que lors de règles douloureuses. J’ai même sympathisé avec mes colocataires du jour qui elles, avaient eu un avortement par aspiration sous anesthésie générale. À la fin de la journée, on a vérifié par une échographie que mon utérus était bien vide, et j’ai pu rentrer à la maison. J’étais soulagée, tout était fini. Et j’ai repris ma vie comme si de rien n’était.
Tou·te·s les soignantes ont été super avec moi, vraiment. Je n’ai pas eu de complications, je n’avais pas de raison de me plaindre. Mais le vide. Ce vide immense ne me quittait pas [...]
Ce n’est pas venu tout de suite, ça a été insidieux. À cause des nombreux rendez-vous gynécos dus aux suites de l’IVG et à des soucis de contraception, de la rentrée à la fac où une des étudiantes était enceinte jusqu’aux oreilles, j’avais l’impression de ne pas pouvoir tourner la page. Et puis le vide. Dans mon ventre bien sûr, mais aussi dans tout le reste de mon corps. Le tourbillon de la dépression. J’aurais voulu avoir cet enfant, je ne me sentais pas complète.
Dans la rue, à la télé, dans ma tête, je ne voyais que des personnes enceintes et des bébés, des bébés, partout. J’étais jalouse de tous ces jeunes parents, j’étais triste, et énervée de réagir de la sorte. Ça avait l’air tellement simple d’avorter. Le jour même, j’allais bien, j’étais contente. Tou·te·s les soignantes ont été super avec moi, vraiment. Je n’ai pas eu de complications, je n’avais pas de raison de me plaindre. Mais le vide. Ce vide immense ne me quittait pas…