Je ne suis pas seulement fière d’avoir avorté, je suis reconnaissante à cette partie de moi qui m’a sauvée de moi-même, qui m’a sauvée d’une vie future inauthentique de mère où j’aurais laissé ma peau, ma vie, ma joie de vivre. Moi.
— ChristelleMon avortement, je l’ai géré comme je gère tous les problèmes costauds qui me percutent : Avec efficacité. Sans sentimentalisme. Sans larme.
Quand le bâtonnet a affiché la croix ou je ne sais plus quel symbole, après une demi-journée en état de sidération puissance mille, je me suis activée. Sur activée.
Il était hors de question que je poursuive cette grossesse.
1. En moi, il y avait cette certitude tenace qu’être maman – et qui plus est maman solo – n’était pas mon endroit. Rien dans mon corps ni dans mon esprit ne m’appelait de manière viscérale à cette vie future de mère-femme-esclave. Me sacrifier, je n’avais toujours fait que cela. Je ne voulais plus.
2. Je ne savais pas qui était le père et aucun des 2 ne semblait viable comme père. Rétrospectivement, heureusement que j’ignorais qui était le géniteur sinon j’aurais pu poursuivre cette grossesse par convenance. Mon mauvais côté bonne élève.
Alors, bien qu’hébétée, je me suis mis en mode machine, en mode fractal. En mode dissociatif. Je me suis séparée de ce que je ressentais. Je me suis mis en mode indifférence-rien-ne-me-touche-j’ai-un projet-avortement-à-gérer. Ce projet, comme tous ceux que je conduis, je l’ai mené avec brio.
Les gens sont persuadés qu’avorter est dur et que derrière tu seras malheureuse à vie. D’autres sont persuadés qu’avorter c’est facile…le fameux avortement de confort. Tous ces croyants sont des ignorants. Je l’étais aussi : une ignorante. Jusqu’à ce que moi aussi j’avorte et que je comprenne qu’il n’y avait aucune vérité, que la réalité de ton avortement. Ce fut l’après-IVG le plus difficile pour moi. Durant l’acte (pas l’acte sexuel ! Je parle de l’IVG…), je n’ai pas eu de douleur. Rien d’insurmontable.
Il y eut cette gynéco qui crut bon de me retenir 2 heures dans son cabinet pour me faire la morale [...] "Vous vouliez lui faire un bébé dans le dos à votre mec, c’est cela ?"
J’ai eu bien sûr mon lot de mésaventures avec ce que l’on surnomme les soignants, auxquels je voue depuis une haine plus que tenace :
– Une anesthésiste donneuse de leçon qui a fort peu goûté que je requiers une anesthésie locale. Moi la putain enceinte j’osais exiger ?! Elle me houspilla de sa même question : « Pourquoi en local ? » Parce que. « Mais pourquoi en local ?!» Mais parce que ! Après un interrogatoire aussi vain que nul, et comme je ne cédais pas, elle lâcha une phrase-poignard : « vous auriez dû prendre une vraie contraception »…comprendre pas seulement le préservatif. Moi : -3. Anesthésiste : 0
– Il y eut aussi cette gynéco qui crut bon de me retenir 2 heures dans son cabinet pour me faire la morale à moi la femme de 37 ans car « c’est aux ado que ça arrive votre histoire, » puis qui continua : « vous vouliez lui faire un bébé dans le dos à votre mec, c’est cela ? ». Ben non, justement. Elle me narrera aussi ad nauseum qu’elle a envoyé une adolescente avorter à 6 mois de grossesse en Hollande. Etait-ce censé m’effrayer ? À aucun moment elle n’aura un mot chaleureux pour cette ado. Cette « professionnelle » de santé ne fera que beugler sa morale outragée de donner la mort plutôt que la vie. Ah, cette expression…
– 2 généralistes soi-disant mes médecins de famille qui m’ont dit « moi je ne fais pas cela » quand je me suis tournée vers eux pour obtenir mon bon pour IVG.
Eh bien moi je fais cela, comme vous dites messieurs. Moi, j’avorte.
Avant l’avortement, je n’ai pas eu le temps d’aller mal. J’étais polarisée sur les délais.
Avorter dans les temps Avorter dans les temps Avorter dans les temps Avorter dans les temps Avorter dans les temps Avorter dans les temps Avorter dans les temps Avorter dans les temps.
Tel était mon main goal.
Mieux : avorter le plus vite possible = cesser d’être dans cet état où je ne me possède plus, moi qui suis enceinte et qui ne le veux pas. Pas le temps mais pas le temps du tout de prendre le temps d’aller mal, de ne pas savoir pourquoi ça ne va pas alors que ça devrait aller.
Patience, le mal viendra. Plus tard.
Pour l’instant, j’ai peur. De ne pas être dans les délais et donc de devoir porter cette grossesse à terme, de détester cet enfant, de me détester, de vouloir me suicider, de ne plus pouvoir jouir de la vie comme je l’entends, de devoir partir en vacances durant les congés scolaires des zones A-B-C. J’ai envie de vomir. Dussé-je en mourir, j’avorterai. J’ai de l’argent. Je partirai à l’étranger. Je…
Je deviens folle.
Je m’endors à tout bout de champ.
Je fais des insomnies.
Cette grossesse me trahit.
Mon corps enfle. Mes seins surtout. Si je n’étais pas aussi paniquée, je les trouverais beaux mais la panique obscurcit tout. Quel dommage.
Même une fois mon bon pour IVG en main, la peur me noie : « est-ce que ça va me faire mal ? » « est-ce que je vais souffrir ? » « Je ne veux pas souffrir. » Personne à qui en parler. Même celle avec qui je partage le sang ne m’aidera pas. Une IVG permet de connaître de manière indubitable qui sont celles et ceux sur qui tu peux compter. Esseulée, mieux isolée, j’en parle à mon seul confident de l’époque : « ok Google : est-ce que l’avortement fait souffrir ? »
D’après les sites anti-ivg… D’après les sites pro-ivg…Réponses de merde. Réponses feutrées. Est-ce que je vais me rouler de douleur au sol ? Est-ce que ça fait plus ou moins mal que mes règles, celles qui me terrassent ? Est-ce que je vais mourir ? Je ne veux pas mourir. A ces questions, je ne trouve aucune réponse. Je suis remplie de peurs car je suis remplie de questions. Cette peur sourde, celle qui habite toute personne qui s’apprête à mener une action qu’elle n’a jamais conduite, cette peur-là, je vais la porter en moi jusqu’au D-DAY.
Ayé, IVG ok. Projet échu. Mon calvaire de l’après-IVG peut commencer.
Dès tout de suite après l’IVG, je vais rester en catatonie, allongée chez moi à manger des Granola, la télé en fond sonore. Allumée H24.
IVG passée nickel
Col nickel
Aucune complication
10/10 en IVG (j’ai toujours été bonne élève !).
Mais dès après mon IVG : malaise, mal-être. Plus aucune envie de vivre. Je l’ai fait mais pourquoi je ne suis pas heureuse ? Pourquoi ne suis-je pas soulagée comme j’imagine ? Encore des questions ! Je me traîne. Je ne me lave plus. Je mange. Beaucoup. Je fais du sport. Trop. Des pratiques sportives extrêmes. Je veux me faire mal moi qui ne voulais pas souffrir. Ce qu’il y a comprendre ? Je suis en phase aiguë de dépression ! Heureusement, je suis en psychothérapie…sauf que je ne parle pas de cet avortement à ma thérapeute. Je fais comme si cette IVG n’avait jamais existé. Je clive, je clive. Nervous breakdown en approche. Je répète : nervous breakdown en approche.
Je crois que si j’arrête de penser à ça, je n’aurai plus mal, peut-être même que j’oublierai ?! Ctrl+alt+suppr. Sauf que, plus je ne veux plus y penser, plus j’y pense. Je crois aussi que je ne veux pas cesser d’y penser car la colère pointe. Pourquoi faut-il que ce soit dans mon corps que se noue le drame alors que cet acte de fornication nous fûmes 2 à le perpétrer ? Je te hais toi homme qui a osé paniquer plus bruyamment que moi alors que rien ne se passait dans ton corps, toi qui m’a harcelée de messages « c’était un accident, il faut avorter !!! » « c’est bon, tu as avorté ? » Toi qui a disparu. Je deviens folle. Je veux mourir moi qui pourtant avais dit ne pas vouloir mourir. Cqfd ? Pas cqdf. J’en veux à la terre entière. A moi en 1er lieu. Au co-fécondeur paniqué et fuyard en second lieu.
Mensonge : « c’est à toi que tu en veux. A toi et à toi seule. Toi qui te pense fautive d’être tombée enceinte. Cela n’aurait pas dû arriver ! Jusqu’ici j’avais toujours tout réussi bordel. » Cette phrase, mon motto maléfique. Pendant de longues années, elle tournera en arrière-plan dans ma tête. Pendant de longues années, je vais osciller entre dépression-cachée-tout-va-bien et y-a-pas-de-doute-vous-faites-une-dépression. Pendant trop longtemps à mon goût, je vais m’auto-punir. Ma faute : en avortant je ne pouvais plus prétendre être cette perfection que je m’échinais à être.
Il m’a fallu 2 confinements pour comprendre que le problème n’était pas mon avortement.
Il m’a fallu 2 confinements à fixer le vide pour réaliser que le problème n’était pas mon avortement.
Il m’a fallu ces 2 confinements à pleurer pour faire la paix avec moi-même. Accepter, et sans drame, que mes attentes et choix de vie avaient changé voire n’avaient jamais été miens. #injonctionssocietales.
Ce banalo-exceptionnel qu’est l’IVG, beaucoup d’entre nous le traversent seules, entourées de ventres de femmes enceintes, et d’injonctions à la maternité.
Si c’était à refaire ? Je n’aurais plus peur.
Je sais comment me comporter avec les soignants maltraitants,
Je sais comment exiger ce qui me revient de droit : mon corps-mon esprit-mes choix,
Je sais qu’1 femme sur 3 a avorté ou avortera dans sa vie et que donc je ne suis pas une exception anormale. Au contraire, je suis une femme à laquelle il arrive quelque chose – comprendre une grossesse arrêtée – quelque chose de très banal et en même temps très exceptionnel. Ce banalo-exceptionnel qu’est l’IVG, beaucoup d’entre nous le traversent seules, entourées de ventres de femmes enceintes, et d’injonctions à la maternité.
Je sais que même si je sais tout cela, je ne pourrai pas empêcher qu’il y ait des soignants qui agissent en redoutables pourritures dans ce moment où tu es vulnérable.
Je ne pourrai pas empêcher qu’on me conteste mes droits.
Il est possible que je serai triste ou pas. En fait, on s’en fiche. Comment je me sens, ça n’a jamais concerné que moi.
Je ne suis pas seulement fière d’avoir avorté, je suis reconnaissante à cette partie de moi qui m’a sauvée de moi-même, qui m’a sauvée d’une vie future inauthentique de mère où j’aurais laissé ma peau, ma vie, ma joie de vivre. Moi.
Mon avortement a été la meilleure chose que je n’ai jamais faite de ma vie, par moi-même pour moi-même.
A cette partie de moi, je dis merci. Merci de m’avoir permis de vivre cet avortement, de renouer avec ma moi et de devenir RADICALE pour être plus moi. Pour être moi.
- Christelle, une revenante.